La résistance aux changements : une question d’intelligence ?
L’exploration entamée en première partie de cet article définit l’intelligence collective en termes :
- de fonctions, c’est-à-dire ce qu’elle permet de faire : apprendre, comprendre, collaborer, performer, motiver, influer, créer…
- et de ressources, c’est-à-dire les formes d’intelligences mobilisées : cognitives, émotionnelles, relationnelles, kinesthésique et multiples, l’intuition et le champ quantique pour en donner une liste non exhaustive.
L’histoire explique en quoi ce que l’on appelle « résistance au changement » relève en réalité des limites de nos systèmes collaboratifs les plus courants et des représentations culturelles sur lesquelles ils reposent.
En effet, la plupart des systèmes de management ou de gestion des organisations enseignés au cours des 40 dernières années reposent sur des approches cognitives. Ils promeuvent des organisations hiérarchiques, des procédés, des indicateurs de performances et des systèmes de récompenses et de sanctions, sur un mode action/réaction, avec vision de causalité mécanique et linéaire.
Les modèles collaboratifs traditionnels ont trouvé leurs limites
Dans la crise et face aux transformations de notre société, les limites des modèles traditionnels d’organisation s’expriment par la résistance au changement. Cette résistance peut être passive ou active. Elle peut se traduire par un manque d’engagement des collaborateurs et des managers, par la difficulté d’attirer les jeunes talents, ou de les fidéliser. De manière catastrophique, elle s’exprime par l’explosion des dépressions, burnouts et suicides liés au travail qui sont dénoncés par tous les spécialistes de la santé au travail et des RPS – risques psychosociaux.
Souvent niée, ces conséquences deviennent intenables pour la société et pour certaines organisations. Malheureusement il est souvent tard, voir trop tard lorsque l’alerte est donnée.
La phrase d’Albert Einstein « Vous ne pouvez pas résoudre un problème avec le même niveau de pensée que celui qui l’a créé »
sonne comme un appel à dépasser les blocages de nos organisations en puisant dans d’autres ressources à disposition.
Ces ressources existent, en chacun de nous et à l’intérieur des collectifs.
C’est précisément la fonction des outils d’intelligence collective (IC) et le rôle des facilitateurs en IC que de permettre l’accès à ces ressources en instaurant un cadre sécurisant qui permette de favoriser des échanges respectueux permettant
- d’impliquer et d’engager les parties prenantes
- de stimuler la créativité, les relations, les liens et l’envie de faire ensemble
- de faire émerger des pistes de solutions et d’innovations
- de créer du sens pour chacun et la possibilité de le partager
Qu’est-ce que l’intelligence collective ?
On peut définir l’intelligence collective comme :
- l’ensemble des fonctions et processus internes d’une organisation
- son aptitude à comprendre, à apprendre des circonstances, à s’adapter à une situation nouvelle, à choisir des moyens d’action
- sa capacité à maintenir un équilibre interne sain, serein et sécurisant, en interne et dans ses relations avec son environnement
- sa faculté à atteindre un objectif, généralement à accroître ou à maintenir son existence
(survie de l’organisation ou de ses membres)
Pourquoi il est urgent de développer l’intelligence collective
Face aux défis auxquels elles sont confrontées, les organisations qui développent des qualités d’intelligence collective sont capables :
- d’acquérir des connaissances : des données, compétences, savoir-faire
- de comprendre le sens et les implications de ces données collectées, les comparer (benchmark), en tirer des enseignements, c’est-à-dire analyser et comprendre le système dans lequel elles évoluent, se projeter dans ce système
- de donner du sens à leur action, à leur rôle, pour elles-mêmes et vis-à-vis de leurs partenaires internes et externes,
- d’attirer des talents, mobiliser et fidéliser les compétences internes, les motiver
- de créer et entretenir des relations, créer des partenariats et des alliances internes et externes
- d’influer sur le système en produisant elles-mêmes de l’information, des services, en interagissant avec lui
- de se connecter aux envies des parties prenantes : salariés, managers, clients, partenaires locaux, fournisseurs, actionnaires… et faire communiquer ces envies entre elles, les faire fructifier, les renforcer pour créer de l’engagement, de la synergie et du soutien
- de créer les conditions internes et externes pour faire émerger des solutions disruptives, cultiver des espaces d’innovation et d’expérimentation, se laisser surprendre par de nouveaux possibles
- de développer des processus apprenants en autorisant les erreurs aussi bien au niveau individuel que collectif, des erreurs sources d’apprentissage.
- etc.
L’intelligence collective n’est ni un fait, ni un état dans lequel une organisation se mettrait. Elle est encore moins une machine ou un outil quelconque dans laquelle une entreprise investirait.
C’est pourquoi, je garde une certaine distance avec le terme « investir » lorsqu’il est appliqué à l’intelligence collective. Même s’il s’agit bien d’un investissement en temps, financier, en compétences, en attention, le mot « investissement » me paraît réducteur. Il s’agit beaucoup plus d’un changement de culture des méthodes de management de l’entreprise. Le terme « acculturation » est plus juste.
Idéalement, l’introduction de l’intelligence collective dans l’entreprise suppose un engagement de la Direction et des investisseurs. Elle est possible sans. L’absence d’engagement de la hiérarchie peut entrainer des dysfonctionnements ou un éclatement des équipes en raison de valeurs divergentes.
L’engouement pour l’intelligence artificielle (IA) en particulier, pour intéressante et nécessaire qu’elle soit, ne doit pas être confondue avec l’intelligence collective, ni être privilégiée par rapport à cette dernière. En effet, l’IA ne recouvre pas toutes les dimensions de l’intelligence humaine individuelle et collective. L’IA est un outil intéressant, nécessaire, mais non suffisant. Et de loin.
L’intelligence collective est profondément humaine, personnelle, individuelle, incarnée et émotionnelle.
Un process, un réseau et une connexion
L’intelligence collective s’organise avant tout autour de process et de compétences. L’ensemble dépend de tous les individus qui composent le collectif.
En effet, à mon sens, il existe un lien indissociable entre l’intelligence collective et la qualité des intelligences individuelles qui constituent le collectif : depuis le dirigeant ou leader de l’organisation, l’équipe de direction, en passant par les managers opérationnels et les collaborateurs.
La qualité de l’intelligence collective dépendra grandement de l’aptitude à accueillir la singularité de l’intelligence de chaque personne qui constitue le collectif.
Ces conditions n’étant pas toujours réunies, on pourrait penser qu’il n’y a alors pas d’intelligence collective. Ce n’est pas le cas.
Malgré leurs défauts, toutes les organisations sont intelligentes, avec des impacts très différents sur leurs membres et sur l’environnement : positifs et agréables pour certaines, négatifs, désagréables et destructeurs pour d’autres.
La question est donc de savoir dans quelle mesure cette intelligence est efficace, comment elle fonctionne, si elle est supportable pour les membres du collectif, et, dans le cas contraire, comment l’améliorer.
L’intelligence collective dans les organisations
L’être humain a besoin de collaborer pour survivre et assurer à la fois sa perpétuation, celle de son groupe d’appartenance et de la société dans son ensemble. Aristote voit plus loin, qui définit l’homme comme un animal social et même comme un « animal politique » (Zoon Politikon – La Politique).
Pas de groupe sans intelligence
Les organisations n’existeraient pas sans une envie, un besoin ou la nécessité de faire ou d’être ensemble. Cette intention peut être positive, élaborée, nocive, minimaliste, créative, entrainante… Elle est toujours présente et peut s’observer à trois niveaux distincts.
L’addition des intelligences du groupe
L’ensemble des intelligences des membres d’un groupe s’additionne pour former la somme des connaissances et des capacités de l’entité collective. Dans une entreprise, on retrouve ainsi les techniciens, les chercheurs, les commerciaux, les communicants, les financiers, etc.
Cela paraît tellement évident, que l’on réduit trop souvent l’intelligence collective à cette agrégation de compétences. Une telle agrégation de talents individuels ne suffit pas à créer une intelligence collective performante.
En témoignent les échecs répétés d’équipes de sport composées de stars mondiales face à des collectifs bien meilleurs composés de joueurs plus modestes. Les exemples existent également dans les entreprises, les services et tous types d’organisations en difficulté, à la dérive, ou traversées par des conflits ou des difficultés.
Le système
Entreprises, fédérations, associations, clubs, collectivités territoriales, syndicats, communautés ou États… toutes les organisations constituent des systèmes. C’est-à-dire des ensembles d’individus en relation entre eux et formant un tout qui est lui-même en relation avec un ou des systèmes plus grands que lui.
Chaque système est organisé autour de règles qui peuvent être écrites ou orales, conscientes ou non, explicites ou implicites, morales ou pas… Elles permettent au système de conserver sa cohérence, de s’adapter, d’interagir au sein de son environnement.
La difficulté vient des relations au sein du système, avec l’extérieur, mais aussi et souvent du fait que chaque individu est lui-même un système complexe (son histoire, ses valeurs, ses critères…) et qu’il fait partie d’autres systèmes : famille, amis, engagements associatifs, clubs…
Les actions du groupe impactent nécessairement non seulement l’environnement mais aussi chacun de ses individus. Elles entrainent une réponse en retour. C’est ce que l’on appelle le feedback.
Le feedback peut être agréable ou désagréable, ce qui ne signifie pas qu’il soit bien ou mal en soi. C’est une information à partir de laquelle on peut apprendre pour adapter son comportement.
L’ensemble de ces relations constitue une intelligence que l’on peut qualifier de systémique
Une troisième dimension
Napoleon Hill a popularisé les Mastermind aux États-Unis dans les années 50 et 60. Il s’agit de petits groupes de personnes qui partagent les mêmes valeurs et les mêmes intérêts, qui se rencontrent sur une base régulière pour s’aider à grandir.
Il décrit la présence d’une intelligence qui dépasse la somme des intelligences en présence dans le groupe. « Si deux esprits travaillent ensemble, ils libèrent une troisième force invisible et intangible semblable à un troisième esprit. » C’est ce qui conférait selon lui sa force au « Cerveau collectif » d’Andrew Carnegie. (Source : Think and grow rich)
Cette dimension dépasse le cadre de l’alliance des intelligences individuelles. Elle est reprise en partie aujourd’hui par le coaching génératif. Celui-ci peut être individuel ou collectif. Le terme « génératif » se rapporte à la création d’un résultat qui n’a jamais existé auparavant dans l’esprit du coaché, dont il n’avait pas la moindre conscience.
L’intelligence collective : quand, où et comment ?
Dans les entreprises ou les organisations professionnelles, la mobilisation de l’intelligence collective se fait dans le cadre de réunions et de groupes de travail en présentiel ou à distance, autour de la machine à café, lors d’événements comme des séminaires, des foires et salons, ou par les moyens de communication internes, y compris les réseaux sociaux. De nombreuses méthodes et outils ont été mis au point pour favoriser et faciliter l’intelligence collective dans les groupes. J’aurai l’occasion de revenir sur ces méthodes dans un autre article. J’aborderai ici sur les fondements de l’intelligence collective.
Les principes de l’intelligence collective et collaborative
Quelles que soient ces méthodes, qu’elles soient appliquées de manières intuitives, traditionnelles, ou plus formalisées, elles reposent sur 3 caractéristiques distinctes.
Le groupe doit respecter les fondamentaux suivants :
- un objectif : l’envie de ses membres, le besoin ou la nécessité qui les relie les uns aux autres, l’intention
- la qualité dans les interactions entre les membres : le partage, l’émulation, la contrainte ou bien la soumission plus ou moins librement consentie
la capacité à faire converger ses efforts pour atteindre son ou ses objectifs avec plus ou moins d’efficacité à travers la formalisation des relations, les procédures, processus
L’objectif est le point de départ de toute intelligence collective
Il ne peut y avoir de groupe sans objectif, même si les objectifs peuvent être différents entre les participants d’un même groupe.
Au sein d’une entreprise : les objectifs des dirigeants, des managers, des salariés et des actionnaires sont multiples, différents et peuvent néanmoins parfois se recouper. S’y ajoutent ceux des clients, des fournisseurs et des partenaires sans lesquels l’aventure entrepreneuriale n’est pas possible.
L’ensemble de ces objectifs doit être cohérent pour assurer le succès de l’entreprise. Il existe généralement un objectif prioritaire qui prime sur tous les autres. Il s’est exprimé depuis plusieurs année à travers la « mission » de l’entreprises. C’est même devenu une marque de reconnaissance.
Le ou les objectifs principaux de l’organisation doivent donc être clairs, transparents et partagés par tous. Idéalement, déterminer l’objectif doit être l’occasion d’un travail collectif. L’objectif est toujours le point de départ d’un travail en intelligence collective, mais la poursuite de la collaboration dépend de la qualité des interactions entre les membres du groupe.
Des interactions de qualité sont la condition nécessaire au bon fonctionnement du groupe
Pour atteindre son ou ses objectifs, un groupe devra mettre en œuvre des modes de relations très variés selon la phase de développement du projet dans laquelle il se trouve et selon les besoins de ses membres.
L’efficacité des équipes dépendra de leur capacité à mettre en œuvre une panoplie plus ou moins complète des interactions possibles, dont voici les exemples les plus courants :
- action / réaction : c’est le modèle militaire ou hiérarchique, un fonctionnement linéaire et causal, une action ou situation entraine une réaction prédéterminée
- constat / réponse : c’est une communication basée sur la constatation des faits, l’observation des émotions, la formulation d’un besoin, l’expression d’une demande (cf CNV – Communication Non Violente)
- concertation / échange : c’est le modèle des groupes de paroles, cafés philo ; il permet l’expression et l’exploration des univers des participants sur des thématiques
- émulation / compétition : c’est la recherche de l’efficacité, de la réussite du succès, comme par exemple dans les concours sportifs, éducatifs ou les challenges commerciaux
- connexion / empathie : ce modèle permet l’accueil des autres, de leurs émotions, de leur singularité, la mise en relation des personnes
- conviction / engagement : il recherche l’implication des membres du groupe, la solidarité
- réflexion / temporisation : prise de recul, échange des idées, analyse factuelle
- écoute active / feedback : ce modèle implique d’être attentif à l’univers de l’autre, il permet de se mettre en position d’exploration, d’exprimer en retour ce qui a été entendu, de formuler un besoin
créativité / imagination : émulation créative sans limite, exploration tous azimuts, hors cadre.
Il est de l’intérêt du collectif de mobiliser tous ces modes de communication, selon les besoins dans des situations différentes. Leurs effets ont leur utilité en fonction du contexte et de l’objectif.
L’important à ce niveau est l’intention avec laquelle ces interactions sont mises en œuvre :
- S’agit-il d’une démarche sincère et transparente ?
- Y a-t-il un engagement de la part des dirigeants ?
- Les relations sont-elles bienveillantes et les personnes se sentent-elles respectées et en sécurité ?
- S’agit-il d’un faire-valoir, d’un discours de façade ?
Quel est le degré de confiance des membres dans l’organisation, dans les leaders, dans les autres membres, dans les comportements comme dans les informations ?
Faire converger les efforts de la communauté
Seule la pose d’un cadre bienveillant, sécurisé et respectueux permet d’apporter les conditions de réussite de l’exercice d’une intelligence collective.
De manière classique, ce cadre se retrouve dans l’organisation des réunions avec une convocation, un ordre du jour, un animateur, un temps imparti, le respect de la parole et de l’écoute, une liste d’action et des décisions, un compte-rendu.
Ces éléments, qui constituent le cadre classique de l’organisation des réunions, sont nécessaires, ils ne sont pas suffisants à l’émergence de ce que l’on peut appeler l’intelligence collective du groupe.
En témoigne le nombre de réunion pourtant bien préparée mais finalement très décevante.
En effet, notre mode de pensée, de réflexion, ainsi que l’accès à nos ressources cognitives, émotionnelles, intuitives exigent la mise en place conditions supplémentaires pour faire converger les intentions de chacun avec moins d’efforts et plus d’efficacité., notamment :
- L’organisation d’une réflexion structurée et efficace à plusieurs
- La sécurisation des espaces d’échanges pour les participants
Notre culture traditionnelle et managériale ne favorise pas la mise en place de ces conditions. Les difficultés que nous rencontrons à développer une véritable intelligence collective dans nos organisations sont abordées dans un autre article intitulé : « l’intelligence collective comment ça fonctionne » Celui-ci présentera notamment comment les outils dédiés et l’accompagnement de facilitateurs aident les organisations à être plus efficaces.
Franck VERGUET
Consultant en conduite d’accompagnement au changement
Facilitateur en Intelligence Collective LIDEA Conseil
De l’idée à l’action
Contact : f.verguet@lidea-conseil.com
Tél : 06 22 74 67 25